10/08/2016

Il neige


In Situ 2016 a confié à Marie-Hélène Richard l'Hôtel Flottes de Sébazan à Pézenas
Commissariat: Marie-Caroline Allaire-Matte / Association Le passe-Muraille
Entretien par Marie-Caroline Allaire-Matte avec la collaboration de Rachele Ceccarelli
Série Rosæ plasticæ, sacs plastiques, fil de fer, tresse de pêche
 
MC. AM : Pour l’essentiel de votre travail, vous avez décidé de sortir du white cube de la galerie pour vous dédier exclusivement à la création d'installations in situ. Vos projets sont conçus pour établir une relation mutuelle avec l'environnement naturel ou historique. Pouvez-vous nous parler ce choix qui peut sembler radical au regard des positionnements artistiques actuels?
MH. R : J’ai réalisé mes premières installations simultanément dans une forêt proche de Paris et dans le Palais des études des beaux-arts, deux contextes très différents voire opposés. Toutes sortes de paysages m’intéressent. A chaque fois j’y cherche le dialogue, la confrontation, j’y attrape ce qui me semble essentiel et remets en question le lieu pour y apporter mon grain de sel. Dans les années 2000, je suis définitivement sortie de l’atelier pour pratiquer un art éphémère. On a toujours cherché à faire durer les œuvres au delà des siècles, prendre le contre-pied c’est pour moi rendre compte de la dimension éphémère de la vie. Mon travail prend en compte la durée mais aussi une échelle physique, notre corps vertical mesurant entre 150 et 200 cm ! Lorsque je pense une œuvre, je pense « être » et « autour ». Ce n’est plus le spectateur qui tourne autour de la pièce mais la pièce qui environne le spectateur. Je pourrais aussi développer cette notion d’environnement qui est plutôt « le milieu auquel nous appartenons et que nous façonnons à notre image ». La base de mon travail repose sur le rapport à la nature, le monde du sentiment, de l’harmonie initiés par le romantisme allemand





















MC. AM : Vous avez choisi d’investir les trois espaces de cet hôtel particulier: la cour, la salle et le jardin. Comment vous êtes vous déterminée pour prendre cette décision ?
MH. R : En visitant le lieu, je me suis attachée à chacun des espaces que l’on pourrait définir comme constitutifs d’un site fermé, assez complexe, où se succèdent les cours, les passages et les détails architecturaux qui appellent le regard. L’analyse que j’en ai faite est mon point de départ. Les cours offrent des échappées vers le ciel, la salle drapée de pierre nous ramène dans un espace plus intime. La circulation du corps et de l’œil à la découverte des multiples points de vue a inspiré cette œuvre traversante. 
MC. AM : Comme le souligne le titre, Il Neige, la multitude des roses semble s'envoler et se disperser poétiquement dans la cour avec la délicatesse impalpable de flocons de neige et elle ajoute une présence colorée en opposition à la minéralité des murs. Une légèreté surprenante, atteinte grâce à une recherche sur les formes et les matériaux (sac plastique, verre, bambou). Quel univers désirez-vous créer dans ce lieu d’histoire?


MH. R : La chute des roses est comme arrêtée ; et avec elle le temps. La perception du temps, ici, s’ajoute à celle de l’espace tridimensionnel. C’est là que j’en reviens toujours : la confrontation personnelle au temps, mettre le spectateur dans la fragilité de l’instant présent. L’œuvre est partout, les fleurs s’immiscent dans les moindres recoins comme une neige rose. Les fleurs, la neige sont des objets bien fugaces en regard de ces pierres anciennes qui leurs sont totalement opposées, autant par leur consistance que par leur permanence. Naturelle ? Artificielle ? La qualité de ces roses surprend. Elles appartiennent au siècle présent et l’on doit passer d’un seul coup de l’image de la beauté à celle du sac en plastique habilement transformé.
MC. AM : Le matériau avec lequel vous fabriquez les roses est un plastique non recyclable : peut-on voir une forme de rédemption dans le choix de récupérer ces sacs liés à la consommation de masse. Espérez-vous solliciter une réflexion éthique chez le spectateur ?
MH. R : Oui, bien sûr. L’abandon imminent de ces sacs plastiques qui ne peuvent finir que dans l’incinérateur ou le ventre des baleines montre à quel point ils sont nuisibles. Depuis le XVIIIe siècle nous avons considérablement évolué, pour le meilleur et pour le pire, les sciences, la chimie, les choses s’accélèrent et je ne suis pas loin de penser que l’histoire de l’apprenti -sorcier va mal se finir… Transformer un sac plastique, ce déchet de base, en symbole très « fleur bleue » de la beauté pourrait être, au fond, un geste ironique. L’usage de matériaux recyclés ou naturels n’est pas systématique dans mon travail mais lorsque j’utilise des sacs ou des bouteilles en plastique, je cherche à ce que cela fasse sens.






Aucun commentaire: